3. L’interdiction de la thérapie génique germinale remise en question
On distingue en réalité deux types de thérapie génique : somatique et germinale. La thérapie génique germinale, ou thérapie génique sexuelle, consiste à appliquer la thérapie génique à un embryon, au stade où celui-ci est formé d'un amas de cellules, ou aux cellules germinales d'un adulte. Le gène introduit est alors transmis à toutes les cellules filles des premières cellules embryonnaires, c'est-à-dire à toutes les cellules du futur individu et de sa descendance.
Modifier le patrimoine génétique d’un adulte via thérapie génique somatique est difficile : pour faire disparaître complètement la maladie, il faut corriger des milliards de séquences d’ADN. C’est pourquoi certains scientifiques envisagent de modifier l’embryon, juste après la fécondation alors qu’il n’est constitué que de la cellule-œuf originelle. Il n’y a alors qu’une seule séquence à corriger pour pallier le dysfonctionnement génétique. Cette approche thérapeutique soulève néanmoins de forts débats éthiques concernant la permanence des modifications occasionnées sur le génome. En effet, la thérapie génique germinale impacte les générations futures, qui n'ont pas donné leur accord. La modification génétique serait transmise à toute la descendance de l’individu, avec des conséquences inconnues. Certains voient ces modifications définitives comme un avantage quand d'autres les considèrent comme l'argument principal justifiant l'interdiction de la thérapie génique germinale. La thérapie génique germinale donne lieu à d'autres craintes, notamment dans le cas où elle serait utilisée à des fins non justifiées, telles que le choix du sexe d'un enfant par exemple. De plus, lorsque plusieurs cellules de l’embryon doivent être modifiées, il n’y a aucun moyen de toutes les vérifier afin de s’assurer que la modification a bien été effectuée. L’embryon peut alors être constitué de cellules modifiées et d’autres encore porteuses d’anomalies génétiques. C’est ce qu’on appelle un « effet mosaïque ». L’embryon deviendrait dès lors le cobaye de cette technique dont les effets sont encore totalement inconnus. Ce n’est qu’à l’âge adulte que les réelles implications de la modification du génome de l’individu pourront être déterminées.
La France s'est dotée de lois concernant la thérapie génique à partir de 1994 avec la création des lois bioéthiques. Ces lois ont été revues et modifiées en 2004 puis en 2011. L'article 16-4 de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 stipule que « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne. ».
La France a également signé la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine d’Oviedo en 1997 (ou Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine). Cette Convention, ratifiée en France par l'article 1er de la loi du 7 juillet 2011 sur la bioéthique, est le seul instrument juridique contraignant international pour la protection des droits de l’Homme dans le domaine biomédical. Dans son article 13, elle interdit toute intervention sur le génome humain impliquant des modifications transmissibles à la descendance. Ainsi, toute modification du génome embryonnaire est illégale en France.
Code de la Santé Publique: interdiction des recherches sur l'embryon
Cependant, avec la découverte de CRISPR-CAS 9, cette interdiction tend à être remise en question, devant les possibilités offertes par cette technique révolutionnaire.
Ainsi, en 2015, des scientifiques parviennent à faire naître des bébés macaques dont l’ADN a été génétiquement modifié. Le 18 Avril 2015, en Chine, une équipe de chercheurs de Canton modifie l’ADN d’embryons humains non viables grâce à CRISPR-CAS 9, pour tenter de guérir la thalassémie. Cette première manipulation génétique de l’ADN d’un embryon humain suscite une vive polémique : beaucoup considèrent que les chercheurs ont franchi une ligne rouge. Devant les problèmes éthiques posés par ces recherches, les revues scientifiques Science et Nature refusent d’en publier les résultats.
En avril 2015, des scientifiques demandent un moratoire à la Communauté Internationale pour que ces techniques sur l’embryon humain soient interdites. Phénomène tout à fait inédit, ce sont des scientifiques qui demandent le ralentissement des recherches ! En Octobre 2015, l’UNESCO édite un rapport avec une demande de moratoire, reprenant une déclaration de 2005 sur le génome humain rappelant que le génome fait partie du patrimoine de l’humanité et doit être protégé et transmis aux générations futures grâce à une responsabilité mondiale et partagée. Au vu des multiples questions d’éthique et de sécurité, un autre moratoire est recommandé en décembre 2015 par l’Académie américaine des Sciences et de la Médecine, l’Académie Chinoise des Sciences, et la Société Royale de Londres. Malgré ces fortes contestations, de nombreux bioéthiciens et généticiens maintiennent que toutes anomalie génétique à l’origine de maladies fatales ou débilitantes et pouvant être corrigée se doit de l’être.
En janvier 2016, l’Angleterre autorise une scientifique de l’Institut Francis Crick à modifier le génome d’embryons humains pour ses recherches. Ces derniers seront détruits à l’issue de l’expérience mais relancent néanmoins le débat sur la finalité de telles études.
Enfin, le 13 juin dernier, en France, les problématiques soulevées par la technologie CRISPR-CAS 9 sont débattues lors de la journée annuelle du comité d’éthique de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm), alors qu’aux Etats-Unis, les NIH (National Institutes of Health) viennent d’obtenir l’autorisation de lancer un essai d’immunothérapie anticancéreuse chez l’Homme.
Ainsi, de nombreuses conférences ont lieu depuis quelques années partout dans le monde pour répondre à ces problématiques éthiques et définir les usages acceptables de CRISPR-CAS 9 chez l’être humain, notamment les modifications du patrimoine génétique d’embryons.


